Noir comme le charbon

Se décrivant lui-même comme « un artiste des profondeurs », Adel Abdessemed se distingue par son travail empreint de la violence du monde. Il livre ici une exposition-manifeste cohérente, pour laquelle il a spécialement créé plusieurs œuvres en adéquation avec la forte identité du lieu. Invité à découvrir l'ancien charbonnage, l'artiste a vu, là où beaucoup ressentent de la sérénité, un lieu de pouvoir autoritaire, d'où le très officiel tapis rouge qui parcourt les salles. La monumentale horloge qui occupe le dernier espace de l'exposition, écho à celle de la Maison des Ingénieurs du Grand-Hornu semble représenter, avec ses roues dentées, la marche inexorable de l'industrialisation prête à broyer toute forme d'innocence, dans un sinistre vacarme. Adel Abdessemed s'est ici particulièrement intéressé au charbon, matériau emblématique des lieux. Au fusain, il a dessiné une série de militaires qui encadrent le visiteur de part et d'autre d'une longue pièce, rappellant à quel point l'armée est aujourd'hui présente dans notre quotidien. Du charbon de bois constitue l'élément essentiel de l'œuvre éponyme de l'exposition, Otchie Tchiornie (Les yeux noirs), grand succès du répertoire des Chœurs de l'Armée rouge, dont un ensemble mourut dans un accident d'avion en 2016. Frappé par cet événement, Adel Abdessemed l'a interprété comme une métaphore de la disparition des idéaux soviétiques, à mettre en parallèle avec le déclin de l'utopie sociale du Grand-Hornu. Vingt-sept figures de chanteurs en bois calciné sont figés dans leur chant, telle une armée de morts vivants. Leur silence assourdissant ne fait qu'ajouter à l'atmosphère pesante de l'exposition, qui rappelle au visiteur la liberté qui s'offre à lui de sombrer dans la noirceur du monde ou de se réjouir d'être vivant.