Evan S. Connell publie Mrs. Bridge en 1959. Mr Bridge, son pendant, verra le jour dix ans plus tard. Dès lors, impossible de dissocier les deux romans. C'est d'ailleurs ce que la collection Belfond Vintage a choisi de ne pas faire en publiant les deux ouvrages en même temps. Le lecteur découvre ainsi l'histoire d'une même famille sous deux angles différents. D'abord Mrs Bridge, aveugle à la guerre qui menace en Europe, à la ségrégation ou à la crise financière. Ses préoccupations : que son fils porte un chapeau, que sa fille se tienne de façon moins lascive. Ensuite, Mr Bridge, qui n'aspire qu'à protéger sa famille. Excessivement prévoyant, il met tout en œuvre pour préserver sa femme de toutes les vicissitudes du quotidien. Il y parvient brillamment, sans se douter qu'il devient ainsi l'architecte du désœuvrement de Mrs Bridge.

Le point commun de ces deux romans, hormis le sujet -le quotidien d'un couple de bourgeois dans le Kansas des années 30- est le style de l'auteur. Les phrases sont courtes, précises. Chaque chapitre est une tranche de vie que l'on retrouve parfois, vécue différemment, dans chacun des romans. Des "vignettes" parfois tout à fait anecdotiques, parfois plus lourdes de sens. L'effet produit par cette apparente légèreté dans le sujet et dans le style est d'autant plus fort lorsque l'on referme ces deux romans : statut domestique de la femme, instabilité politique mondiale, cruauté du temps qui passe, solitude... Les apparences d'une vie familiale stable et équilibrée prennent le pas sur la vraie vie.

A noter également : l'un des romans est préfacé par Lionel Shriver (l'auteur de Big, Il faut qu'on parle de Kevin...), l'autre par Joshua Ferris (Open Space, Se lever à nouveau de bonne heure, Pied mécanique...). Comme d'habitude dans cette collection, les préfaces apportent non seulement des précisions quant au contexte dans lequel naissent les romans, mais elles éclairent aussi le texte lui-même en apportant d'autres références.